3. La présence missionnaire des Jésuites en Nouvelle-France au 17e siècle



Photographie de la peinture à l’huile représentant Saint-Ignace. Cette composition surplombe le maître-autel de l’église paroissiale de St-Ignace. Selon la tradition, il s’agit d’un autre objet que les Illinois ont maintenu hors de danger lors de l’incendie qui a ravagé la chapelle de la mission St-Ignace en 1706. Par ailleurs, la peinture aurait été rendue aux autorités religieuses en 1834 au moment où la seconde chapelle de bois a été érigée. Image prise dans l’ouvrage de Samuel Hedges, Father Marquette : Jesuit missionary and explorer. The discover of the Mississippi . His place of burial at St. Ignace, Michigan. New York, Christian Press Association Company, 1903, p. 93.

 

À n’en pas douter, les Jésuites sont certainement les missionnaires les plus zélés et les plus efficaces ayant œuvré parmi les populations amérindiennes de la Nouvelle-France. Fondé en 1534 par Ignace de Loyola, la Compagnie de Jésus se veut une communauté religieuse désireuse d’imposer le christianisme à travers le monde entier. D’ailleurs, les Jésuites espèrent ouvertement «capturer le plus grand nombre d’infidèles dans les ‘‘filets de l’Évangile’’ [65] .» Se qualifiant eux-mêmes de «soldats du Christ», leurs carrières apostoliques s’apparentent étrangement à un combat militaire. Avec une ardeur similaire à celle des soldats du roi qui se battent pour la France, les Jésuites s’engagent ni plus ni moins dans une «guerre sainte» visant à contrecarrer le plus grand des ennemis : Satan. C’est ce combat qui les mène d’ailleurs, au fil des ans, dans tous les coins et recoins de chacun des continents :

 

Sigle stylisé fréquemment employé par la Compagnie de Jésus. Image prise dans l’ouvrage d’Alfred Hamy, Au Mississippi, la première exploration (1673). Le Père Jacques Marquette de Laon, prêtre de la Compagnie de Jésus (1637-1675) et Louis Jolliet, d’après M. Ernest Gagnon. Paris, Librairie Honoré Champion, 1903, page de couverture.

«[C]es hommes qui ont rempli, dans les forêts du nouveau monde, une tâche noble et sainte, en soutenant la lutte de l’esprit contre la matière, de la civilisation contre la barbarie ! […] Dans leur héroïsme religieux, les Jésuites allèrent jusqu’aux extrémités du monde pour soumettre les infidèles à la foi, non pas, comme les Croisés, par le fer et la flamme, mais comme le Christ et ses apôtres, par une éloquence persuasive, versée à flots au milieu des multitudes étonnées. Ils firent briller la croix depuis les rives du Japon jusqu’aux points les plus reculés de l’Amérique, depuis les glaces de l’Islande jusqu’aux îles de l’Océanie. […] C’est ce dévouement héroïque et humble tout à la fois qui a étonné le philosophe et conquis l’admiration des protestants. C’est cette belle admiration qui a inspiré sur le Canada de si belles pages à Bancroft, l’habile historien des colonies anglaise [66]

 

Les missionnaires, ces agents personnels de Dieu

 

Véritables apôtres des «temps nouveaux», les missionnaires (qu’ils soient jésuites ou autres) considèrent œuvrer dans la tradition des apôtres de l’Église primitive. Celle-ci leur sert de modèle et leur dicte en quelque sorte leur état d’esprit ainsi que leurs stratégies. S’inscrivent dans cette lignée leur désir du martyre [67] ainsi que leur souci de vivre « à l’apostolique». De plus, au même titre que les missionnaires des Écritures, les missionnaires du 17e siècle se sentent appelés à interagir dans une atmosphère miraculeuse. D’ailleurs, tout comme leurs aïeux, ils possèdent le don des langues ainsi que de la guérison, et peuvent également accomplir des prodiges. Soi-disant mandatés par le Tout-Puissant, les missionnaires jésuites se décrivent généralement eux-mêmes comme des agents personnels de Dieu. Ces «soldats du Christ» se disent d’ailleurs appelés à accomplir de grandes choses, même des miracles, puisqu’ils sont «des ouvriers formidables à l’enfer» [68] .

 

Ainsi donc, où qu’ils soient postés à travers le monde, les Jésuites, tout comme les missionnaires des autres ordres religieux, partagent des idéaux apostoliques communs. À preuve, ils entretiennent les mêmes idées de la mission, adoptent la même attitude à l’égard des populations à convertir, font usage de méthodes de persuasion similaires et espèrent tous le même genre de résultats. Ceci dit, si nous tentons de replacer l’entreprise missionnaire jésuite dans un contexte plus large, nous sommes en mesure de constater que leurs attitudes et leurs actions s’inscrivent dans une mouvance bien populaire, à savoir le passage vers la modernité. Comme le mentionne Dominique Deslandres :

 

« […] les jésuites français du XVIIe siècle f[ont] partie d’un gigantesque mouvement de réforme et de transformation des esprits occidentaux, qui v[eut] réaliser une Utopie sacrée, à la fois dans l’ancien et le nouveau monde. Comme les autres missionnaires [notamment les Capucins], les jésuites particip[ent] en effet à la formulation de solutions nouvelles pour s’adapter aux changements de leur époque. Ils d[oivent] composer avec un monde qui leur sembl[e] devoir s’effriter ; un sentiment attesté par les courants eschatologiques qui parcour[ent] alors le monde chrétien [69]

 

Ainsi, ces «soldats du Christ» suivent le courant populaire en vigueur à l’époque, soit un courant de reconstruction du monde chrétien.

 

D’ailleurs, le concept de la fin du monde s’enracine à un point tel dans les mentalités occidentales du moment que les Jésuites ressentent l’urgence de la mission. En tant qu’«élus de Dieu», n’ont-ils pas l’obligation de ne pas faillir à leur mission ? Le salut de leurs âmes passant par le salut des âmes converties, le zèle des missionnaires jésuites, replacé dans son contexte, ne suscite plus le même étonnement. Or, cette pression liée aux contraintes de temps explique certainement, en partie du moins, le caractère autoritaire et les méthodes empreintes de manipulation psychologique employées lors des conversions.

 

Gravure du sigle stylisé de la Compagnie de Jésus. Image prise dans l’ouvrage d’Alfred Hamy, Au Mississippi, la première exploration (1673). Le Père Jacques Marquette de Laon, prêtre de la Compagnie de Jésus (1637-1675) et Louis Jolliet, d’après M. Ernest Gagnon. Paris, Librairie Honoré Champion, 1903, p. 326.

 


Missions lointaines ou missions chimériques ?

 

Pour sûr, les Jésuites disposent d’un réseau solide et bien organisé partout dans le monde. Mais aussi structurée que puisse être cette entreprise missionnaire chez les «Infidèles», aussi démesurées en sont les proportions qu’elle prend sur le terrain. Évidemment, le mandat des religieux est clair : ils ont pour mission de récolter le plus «d’âmes» possible, et ce, peu importe le lieu où ils sont envoyés. Menaçante à tout moment et en tout lieu, la souveraineté satanique amène le missionnaire partout où la terre est habitable. N’oublions pas que dans la vision missionnaire, même s’ils ont différentes apparences, la nature des peuples à convertir est la même. Ainsi, la conception de la mission peut aisément se résumer en ces termes «[s]i la rédemption personnelle peut être gagnée par la rédemption du reste du monde, il importe peu où se trouve le missionnaire, aussi longtemps que la ‘‘moisson des âmes’’ est abondante [70]

 

Or, même s’il semble, en apparence, régner une indifférence de la part des missionnaires quant au lieu où ils sont postés, ces «soldats du Christ» rêvent généralement de participer à une expédition lointaine. D’ailleurs, nombre de missionnaires n’hésitent pas à spécifier la destination à laquelle ils désirent œuvrer lorsqu’ils complètent leurs demandes de mission. Ces destinations à l’étranger sont aussi variées que la Grèce, le Pérou, les Indes ou encore le Canada [71] .

 

Ceci dit, qu’est-ce qui motive nombre d’aspirants missionnaires à se proposer pour le Canada au 17e siècle? Quelles sont les attentes de ces Jésuites ? À n’en pas douter, l’instrument qui permet de rehausser la cote de popularité du Canada auprès des candidats est certainement la diffusion, en France, des Relations des Jésuites. Parues dès 1633, ces dernières suscitent une vive curiosité à travers les provinces de France. D’ailleurs, son contenu inspire fortement les sermons des curés, tant des villes que des villages français. Par ricochet, les récits qu’elles contiennent, de même que les thèmes ainsi que les exemples idéalisés qui sont présentés, captent tout autant l’imaginaire des religieux désireux de laisser leur marque. Pourtant, ces missionnaires en devenir ne semblent pas nécessairement bien connaître ce Canada dont l’image de «terre presque éternellement vierge de christianisation [72] » fait de Québec une destination aussi exotique aux yeux des aspirants missionnaires que le sont Constantinople ou Pékin. Cette méconnaissance de la Nouvelle-France, de même que des travaux apostoliques qui s’y effectuent, nous amène à croire que c’est davantage l’attrait lié à l’éloignement et au dépaysement qui font rêver les Jésuites du Canada, au même titre qu’ils rêvent de l’Asie ou du Moyen-Orient.

«Carte de l'Amerique [sic] septentrionale entre les 25 & 65 degrez [sic] de latitude & depuis environ les 240 jusqu'aux 340 de longit. [longitude, sic] contenant les pays de la Nlle. [Nouvelle, sic] France, la Louisiane , Floride, Virginie, Nlle. [sic] Yorc [sic], Nle [sic] Angleterre, Acadie, &c; le tout tres [sic] exactement dressé conformement [sic] aux observations que l'auteur en a faites luy [sic] mesme [sic] sur les lieux & suivant les Memoires [sic] et Relations qu'il a eu soin de recueillir pendant prés [sic] de 17 annees [sic], de tous les voyageurs qui ont parcouru ces contrées qu'il a confrontés les uns avec les autres par l'ordre des gouverneurs et intendans [sic], avant d'en dresser cette carte pour présenter en Cour.» Carte incluant le carton «Quebec [sic] comme il se voit du costé [sic] de l'est» ainsi que le carton «Quebec [sic] veu [sic] du nordouest [sic]». Exemple d’une des magnifiques cartes comportant beaucoup de couleur et de précision produites par Jean-Baptiste-Louis Franquelin au 17e siècle. Celle-ci date de 1688 et vise à répondre à une requête des autorités françaises désireuses de connaître les frontières entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre . Archives nationales du Canada, reproduction NMC 10048.

 

D’une part, nous devons admettre que la conversion des «sauvages» habitant une terre peu exploitée est en soi un incitatif alléchant. Mais la possibilité du martyre, et surtout la rapidité à laquelle le missionnaire y a accès, rendent le Canada encore plus attrayant pour les futurs missionnaires en quête de mystique. Car, inévitablement, si la conquête des âmes constitue la mission des Jésuites, se sacrifier et mourir pour cette même cause leur ouvre la voie à leur propre sanctification. Et cette même sainteté du missionnaire, quant à elle, se confirme d’autant plus lorsque les miracles qu’il réalise de son vivant se poursuivent après sa mort. Évidemment, force est d’admettre que la narration d’événements appuyés de «preuves» vient renforcer cette image de sainteté du défunt dans sa communauté. Parallèlement, tout aussi importantes sont les visions que le missionnaire a de son vivant. Ces visions, souvent très précises, se rapportent essentiellement au déroulement de sa mission, mais peuvent également donner au missionnaire le scénario de sa mort.

 


Ceci dit, entre le rêve et la réalité du terrain, il y a bien souvent une série d’obstacles qui font des missions intérieures des entreprises à la fois moins risquées et plus sécurisantes. Conscients des embûches qui attendent les missionnaires à l’étranger, les autorités de la Compagnie de Jésus n’y envoient généralement que des agents qui se démarquent au sein de missions intérieures. D’ailleurs, en guise de réponse aux demandes pour l’étranger, le général de la Compagnie n’hésite pas à leur répliquer que «Vos Indes sont ici» ; des «Indes, obscures et noires non à cause de la couleur des peuples mais à cause de leur ignorance» [73] .

 

Il importe donc aux supérieurs de la Compagnie de tamiser cet engouement pour les missions lointaines. Et leurs arguments dissuasifs tiennent essentiellement du fait que la France comporte, à elle seule, un impressionnant lot de «peuples abandonnés», de «peuples ignorants». Le potentiel de missions fécondes en sol français apparaît donc non négligeable aux yeux des autorités. Selon elles, les populations des deux côtés de l’Atlantique sont grossières et ignorantes puisqu’elles souffrent d’une «extrême ignorance des voies du salut» [74] . Les «Sauvages» du Canada entrent donc dans la même catégorie que les catholiques tièdes, les paysans ignorants, les hérétiques français, les païens du Moyen-Orient et des Indes ainsi que les Turcs.

 

Illustration de H. Lawrence Hoffman prise dans l’ouvrage d’August William Derleth, Father Marquette and the great rivers. New York , Farrar, Straus & Giroux, Coll. Vision Books, 1955 , page de couverture.

 


Cette «ignorance» des populations de France est-elle un argument suffisant pour maintenir l’essentiel des troupes missionnaires à l’intérieur? Les faits tendent à supposer que tel est le cas. À preuve, les Jésuites français sont davantage actifs en tant que missionnaires de l’intérieur qu’ils ne le sont en tant que missionnaires à l’étranger. En effet, leur implantation en France débute en 1562 avec la mission d’Auger à Issoire. Puis, au fil des ans, les Jésuites s’enracinent rapidement dans tous les coins du pays. À titre comparatif, les missions extérieures, quant à elles, ne débutent qu’au début du siècle suivant avec la mission de Constantinople en 1609, puis celle de l’Acadie en 1611. Et, même si les missions à l’étranger gagnent en popularité et en quantité, elles ne parviennent jamais à surpasser le nombre des missions intérieures. Dès lors, doit-on s’étonner que la Compagnie de Jésus entretienne un nombre beaucoup plus élevé de missions dites intérieures que de missions lointaines ? Gardons en mémoire que, fortes de la fascination qu’elles suscitent, les missions lointaines font rêver les aspirants missionnaires puisqu’elles sont plus spectaculaires. D’ailleurs, n’est-ce pas ces destinations lointaines qui permettent la découverte de merveilles et de peuples inconnus, mais aussi, et surtout, qui s’avèrent être de véritables pépinières de martyres [75]  ?


Les méthodes de conversion

 

Dans son manuel missionnaire, l’évêque Jean-Pierre Camus identifie sept catégories d’infidèles à missionner : les «sauvages», les «barbares», les «idolâtres», les Turcs, les juifs, les hérétiques et les schismatiques. De façon plus spécifique, les «sauvages» de la Nouvelle-France se caractérisent par un soi-disant «faible usage de la raison», de même que par une «grossièreté», une «stupidité», une «mauvaise éducation» et une «corruption naturelle» [76] . Or, la bataille des missionnaires contre Satan est uniforme et vise à faire tomber les «vrais ennemis». Ces derniers, peu nombreux selon la conviction missionnaire, se reconnaissent par leur position d’influence sur la population : «mauvais» prêtres des régions catholiques, ministres protestants, chamans amérindiens, etc. Or, il importe principalement de les conquérir car ce sont eux, dans l’esprit missionnaire, qui entraînent les autres à «mal faire» et à «mal croire».

 

Selon la tradition locale, ce calice en or préservé au sein de l’église paroissiale de St-Ignace (Michigan) est celui que le Père Marquette a utilisé durant son séjour à la mission St-Ignace. De plus, le discours populaire veut que l’objet ait évité la destruction par les flammes, lorsque l’église de la mission a été consumée en 1706, grâce aux Illinois convertis. Image prise dans l’ouvrage de Samuel Hedges, Father Marquette : Jesuit missionary and explorer. The discover of the Mississippi . His place of burial at St. Ignace, Michigan. New York, Christian Press Association Company, 1903, p. 10.

 


Dans cette optique, le travail du missionnaire ne consiste pas simplement à enseigner. En effet, il lui faut, à la base, évaluer les croyances et les pratiques des populations rencontrées afin d’effectuer un tri. Ainsi, il peut conserver et miser sur les bonnes mœurs déjà en place, soit celles qui sont compatibles avec le christianisme tridentin, puis tout orchestrer pour éradiquer les «mauvaises». Généralement, le processus de conversion des «sauvages» de la Nouvelle-France baigne toujours dans une atmosphère miraculeuse où la main de Dieu dicte constamment la conduite des événements : temps favorable, intempéries qui prennent fin brusquement, arbre qui s’affaisse sur une foule sans blesser quiconque, etc. Considérés par plusieurs comme des «sorciers de Dieu», les missionnaires utilisent également des reliques pour guérir maintes fièvres auprès de populations amérindiennes qui en viennent à associer baptême et guérison.

 

Ce qu’il nous faut retenir, c’est que les procédés de conversions employés par les missionnaires jésuites misent sur une certaine forme de chantage et s’apparentent étrangement à de la manipulation psychologique où le «soldat du Christ» est dans une position d’autorité. Certes, leur objectif avoué est d’apprivoiser les cœurs et les esprits des «sauvages» amérindiens (dans le cas des Jésuites de la Nouvelle-France, bien entendu). Pour y parvenir, les Jésuites doivent nécessairement se familiariser avec les langues vernaculaires pour être en mesure de communiquer avec leur auditoire. Une fois ce préalable maîtrisé, ils s’efforcent d’émouvoir suffisamment les non-croyants pour les pousser à la conversion. La tâche paraît peut-être des plus simplistes, mais elle implique un talent de persuasion développé de la part des missionnaires en quête d’«âmes».

 

Ainsi, pour «imprimer des notions de grandeur et de vérité du christianisme» [77] dans les cœurs et les esprits des néophytes, les missionnaires usent de la «pastorale de la peur». Alternant avec brio les encouragements à leurs discours de terreur, ils mettent volontairement l’accent sur le jugement dernier et les peines de l’enfer. Prêchant avec véhémence les tourments de l’enfer, ils conduisent alors leurs auditeurs vers un état émotionnel tel que la peur se transmet à tout le groupe. Or, une fois le groupe effrayé, les Jésuites adoptent un ton et un discours plus rassurants s’articulant autour de la sécurité que représente le christianisme tridentin. L’invitation de se joindre au Tout-Puissant est ainsi lancée.

 

Illustration de H. Lawrence Hoffman représentant Marquette évangélisant les «Sauvages». Image prise dans l’ouvrage d’August William Derleth, Father Marquette and the great rivers. New York , Farrar, Straus & Giroux, Coll. Vision Books, 1955 , p. 47.

Fait à noter, le processus de conversion des «sauvages» s’accompagne généralement de l’intercession des saints, tels qu’Ignace de Loyola ou la Vierge Marie. Mais, concrètement, tous les moyens, aussi excentriques qu’ils puissent être, sont bons pour convertir : prières collectives, chants, pièces de théâtre, images peintes, œuvres de miséricorde, etc. Ceci dit, pour impressionner, et imprimer, les missionnaires doivent user de tout ce qui peut apparaître extraordinaire aux yeux des missionnés. Qu’il s’agisse de la gestuelle chrétienne (signe de croix, agenouillement, entre autres), de la récitation de prières, de chants sacrés, de la distribution d’images pieuses, de cérémonies, de prophéties ou de guérisons miraculeuses, tous ces éléments renforcent leur crédibilité. Par conséquent, ce sont les missionnaires qui ont la tâche de donner l’exemple. Ils sont, après tout, les modèles à suivre. En somme, quels que soient les moyens qu’ils emploient, les Jésuites sont responsables du renversement moral qui doit s’opérer dans leur mission.

 

Avec un tel acharnement, il est certain que les missionnaires souhaitent atteindre le but fixé qu’est la conversion. Et ils savent que cette dernière est possible lorsqu’ils parviennent à réunir deux conditions gagnantes : le silence attentif, suivi de l’éclatement en sanglots et des lamentations. N’oublions pas que tout le protocole déployé par les missionnaires vise à provoquer des émotions. Et, à l’évidence, la commotion psychologique sur le groupe de missionnés offre des résultats qui justifient à eux seuls la poursuite des méthodes employées dans leur conquête des «âmes».

 

[65] Relations des Jésuites, 1648, p. 39, dans Marie-Christine Pioffet, op. cit., p. 118.

[66] François-Xaxier Garneau, Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours, tome 1, Québec, 1859 [3e édition revue et corrigée], p. 223-224.

[67] Une nuance s’impose : à la base, l’idée du martyre est étrangère, voire contradictoire, avec la spiritualité ignacienne véhiculée par les Jésuites français. En revanche, la large diffusion du mythe des saints Martyrs canadiens contribue à forger une image mythique du missionnaire jésuite de la Nouvelle-France. Parmi les aspirants missionnaires, cette spiritualité du martyre fait alors son chemin. Sans nécessairement souhaiter une mort violente, ces derniers jonglent tout de même avec l’idée, à tort ou à raison, que la possibilité du martyre est réelle et que la mort dans de telles conditions leur ouvre grande la porte aux côtés du Tout-Puissant. Pour mieux saisir cette dynamique, il est suggéré au lecteur de consulter l’article de Guy Laflèche, «Les Jésuites de la Nouvelle-France et le mythe de leurs martyrs». Les Jésuites parmi les hommes aux XVIe et XVIIe siècles. Actes du Colloque de Clermont-Ferrand (avril 1985), Faculté des Lettres et Sciences humaines de Clermont-Ferrand II, nouvelle série, fasc. 25, 1987, p. 35-46.

[68] Dominique Deslandres, «‘‘Des ouvriers formidables à l’enfer’’. Épistémè et missions jésuites au XVIIe siècle», loc. cit., p. 259.

[69] Ibid, p. 253.

[70] Ibid, p. 274.

[71] Dominique Deslandres, «Les mission françaises intérieures et lointaines, 1600-1650. Esquisse géo-historique», loc. cit., p. 524.

[72] Ibid, p. 527.

[73] Cité par Dominique Deslandres, «‘‘Des ouvriers formidables à l’enfer’’. Épistémè et missions jésuites au XVIIe siècle», loc. cit., p. 255.

[74] Ibid, p. 264.

[75] Ibid, p. 255.

[76] Ces propos de Jean-Pierre Camus sont cités dans Dominique Deslandres, «‘‘Des ouvriers formidables à l’enfer’’. Épistémè et missions jésuites au XVIIe siècle», loc. cit., p. 274.

[77] «Imprimer» est le terme généralement employé par les Jésuites pour décrire l’assimilation des enseignements par les «ignorants».