La pauvreté est un domaine d'étude qui peut regrouper énormément d'aspect. On peut l'étudier d'un point de vue social (la charité), économique (comment détermine-t-on le seuil de pauvreté?), politique (législation dans ce domaine), etc. Nous allons maintenant voir quels aspects de la pauvreté ont été surtout mis de l'avant, dépendant des époques. Nous nous concentrerons d'abord sur les interprétations de la pauvreté durant la période victorienne en Grande-Bretagne et aux États-Unis. En deuxième lieu, nous examinerons quelques nouvelles interprétations formulées surtout à partir des années 1960. Vous pourrez constater qu'à travers les années, les spécialistes de la question ont fait des lectures différentes des causes et des solutions à la pauvreté, des relations entre les pauvres et le reste de la société.
Au 19e siècle
Pour ceux qui écrivent sur la pauvreté à cette période,
la pauvreté, est:
-Un phénomène relié à la lutte de classe.
La conception marxiste de la pauvreté est née sous la plume
de Friedrich Engels
(Conditions
of the working class in England, 1844). Dans cette optique, la révolution
industrielle a créé une nouvelle classe sociale : le prolétariat.
Le prolétariat se trouve désavantagé par le nouveau système
économique. Ce système, le capitalisme, fait que«with
the accumulation of wealth, the demand for labor also increases, but in a
constantly diminushing proportion.»1.
Les patrons offriraient, selon cette vision, de moins en moins de travail
au cours des années à venir. Ce qui aurait pour conséquence
de créer du chomâge, car il n'y aurait pas assez d'offres d'emploi
pour le nombre de personnes disposées à travailler.
-Une affaire de morale et de caractère.
Comme le démontre l'historien Michael E. Rose2
et l'historienne Gertrude Himmerlfarb3,
la conception de la pauvreté durant la première moitié
du siècle, que ce soit en Amérique ou en Grande-Bretagne, est
simple. On classe en deux catégories les pauvres, selon le caractère
de chacun. Premièrement, il y a les bons pauvres (the poor)
qui regroupe les enfants, les personnes âgées et les personnes
malades. Cette catégorie rassemble aussi ceux qui n'ont pas la capacité
de travailler et ceux qui veulent se sortir de la misère. Deuxièmement,
il y a les mauvais pauvres (paupers). Ce sont les pauvres qui sont
dépendants de la charité publique ou privé et qui pourraient
travailler. Cette dernière catégorie regroupe les mendiants,
les vagabonds et les criminels. Cette vision essentiellement moraliste de
la pauvreté est véhiculée, en particulier, par le mouvement
évangéliste.
Les "bons" pauvres se retrouvaient dans les workhouses.
Une workhouse était «a public institution in which poor people
received board and lodging in return for work.» Dernier recours du pauvre,
la workhouse fonctionnait selon des règles très rigoureuse en
ce qui concerne les comportements, les vêtements et l'hygiène.
4
- La pauvreté est un phénomène reproduisant des
lois scientifiques qu'il faut documenter et mesurer dans le but d'y trouver
des solutions.
Sous l'influence du Darwinisme
social, il y a aussi des enquêtes sur les pauvres pour
déterminer les points tels que les suivants: qui sont-ils? quels sont
leurs revenus? où résident-ils? Un bon exemple d'une de ces
enquêtes, est London Labour and the London Poor de Henry Mayhew,
mais aussi les cartes de
Charles Booth publiées sous le titre de The life and labour
of the people of London entre 1893 et 1901. C'est au 19e siècle
que l'on commence à délimiter un seuil de pauvreté, c'est-a-dire
que, en tenant compte du coût de la vie, on détermine que chaque
personne a besoin d'un certain niveau de revenus pour survivre convenablement.
Aux États-Unis, des enquêtes sur la pauvreté, appelées"social
surveys' sont aussi publiées à cette époque. L'ouvrage
du travailleur social progressiste Robert Hunter (1874-1942), Poverty,
publié en 1904, s'inscrit dans ce courant.5
Pour Hunter, il y a deux types de pauvres,
les poor, ceux qui «though living above the margin of bare
subsistence, still could not maintain full physical efficiency»6
et les paupers «those who eke out a
precarious life on the very margin of subsistence, still could not maintain
full physical efficiency»7
Par ailleurs, le progressiste
Robert Hunter veut mesurer l'étendue de la pauvreté aux États-Unis.
Selon ses estimations, le pays compte 10 millions de pauvres.8
Selon lui, la pauvreté est un cercle
vicieux: il existe une relation complexe entre «economic deprivation,
physical debility and mental problems»9.
L'ouvrage suggère quelques solutions, principalement des réformes:
«These ranged from the entire prohibition of child labor to public day
nurseries; from sickness, unemployment and old-age pensions to sanitary acts
for tenements and factories; from maximum hours and minimum wage laws to control
of immigration.»10
20e
siècle
Pendant les premières décennies du 20e siècle, on étudie
peu le pauvre lui-même, mais plutôt les mécanismes de combat
contre la pauvreté. A la fin des années 50 et durant les années
60, il se produit une redécouverte de la pauvreté. C'est en
effet l'époque de la Guerre à la pauvreté, lancée
par l'administration du président Lyndon B. Johnson aux États-Unis.
- La Société de consommation et la naissance d'une culture
de la pauvreté
L'ouvrage de Michael Harrington, The Other America (1962),
lance le débat. Pour l'économiste John
Galbraith (né en 1908) dans L'ère de l'opulence,
la pauvreté est le résultat «de quelques caractéristiques
appartenant aux individus qui en sont affligés»11.
Ce peut être une maladie, une dépendance
à l'alcool ou un handicap physique. Il y a aussi des "îlots
de pauvreté" qui affectent toute une communauté. Dans ce
cas-là, les«gens qui appartiennent à ces ilôts ont
été arrêtés par un facteur qui dépend du
milieu ou ils vivent»12.
Les pauvres «ne peuvent pas acquérir alors ce que l'ensemble
de la communauté regarde pour le minimum indispensable à une
vie normale, et ils ne peuvent pas entièrement se soustraire à
l'opinion de la majorité, qui les considère comme inférieurs.
».13
Pour combattre la pauvreté chez les cas individuels et dans les "îlots
de pauvreté", il faut «aider les individus à surmonter
les contraintes que leur milieu fait peser sur eux.» 14.
Il faut investir dans les services publics (éducation, services sanitaires,
maintien de l'ordre)15.
Le sociologue Richard
Hoggart (né en 1918) a introduit le concept de "culture du
pauvre" dans le livre "The Uses of Literacy", publié
en 1957. Cette culture du pauvre se base sur:
une constellation d'attitudes et de comportements commandés par la conscience confuse du destin objectif et collectif du groupe, constellation qui s'exprime dans le sentiment fortement éprouvé de l'appartenance irréversible, pour le meilleur et pour le pire, à une communauté soumise aux mêmes limitations et aux mêmes contraintes16. |
Cela se manifeste par «la valorisation du cercle familiale aux relations de voisinage(...)dans le caractère local et communautaire des divertissements ou de la vie quotidienne(...)»17. Le comportement du pauvre est motivé par l'idée suivante: «en profiter tant qu'on le peut et quand on le peut»18. Les deux mettent l'accent sur la Société de consommation.
-Des pauvres dangereux
Les historiens Kellow Chesney19 et Roland
Marx 20 soutiennent que le concept de pauvreté,
à l'époque, est l'incarnation des peurs des gens riches. Les
pauvres sont associés à ces peurs ne serait-ce qu’à
cause de leurs conditions insalubres de vie (entassement, saleté, etc)
qui entraînent la mort et la maladie parmi eux et les plus riches
redoutent les épidémies qui pouvaient s'en suivre.
Ajoutons à cela la perception que les pauvres ont des pratiques sexuelles
inappropriées tel que l'inceste, l'alcoolisme, la promiscuité
sexuelle, l'infidélité.
- Contrôle social
A partir des années soixante, certains historiens expliquent les mesures
mises en place pour remédier à la pauvreté au 19e siècle
comme une tentative de contrôle social des classes "dangereuses".
Ce contrôle s'exerçe par la bourgeoisie par l'entremise de l'état,
les administrations municipales et des organisations privéess. Les
pauvres sont vus par les bourgeois comme une bombe ambulante qui pourrait
faire éclater l'ordre social. Pour la désamorcer, il faut adoucir
la situation du pauvre. Cette thèse est développée par
les historiens François Barret-Ducrocq, Anthony Wohl, Frances
Fox Piven et Richard A. Cloward , Joseph Entin , Susan
Moeller et Walter Trattner.21
-Un acte de générosité
Selon l'historien Brian Harrison, la lutte à la pauvreté au
19e siècle est avant tout un acte généreux entrepris
par des personnes plutôt désintéressées. C'est
le cas des philanthropes qu'il étudie et qui étaient selon lui
motivés par des sentiments aussi divers que la culpabilité,
la compassion, l’idéalisme, l’humanisme. L’ambition
de promotion social et le désir de visibilité pouvaient aussi
être un facteur motivant pour les philanthropistes lorsqu'ils s'occupaient
des pauvres.22
Selon l'historien Raymond A. Mohl , le combat contre la pauvreté
avait plusieurs motifs et buts :
« Urban relief, and the private charity which accompanied it, stemmed
partially from humanitarian motives, but it often seemed designed to achieve
social control and maintain urban order as well .»23
Pour comprendre les actions des philanthropes, il faut connaître la
société sous toutes ses facettes.
Références
1. F. Allan Hanson. (Site
consulté le 15 mars 2005) How poverty lost its meaning. (en ligne),
Adresse URL: http://www.cato.org/pubs/journal/cj17n2/cj17n2-5.pdf
2.Micheal
E Rose. The relief of poverty, 1834-1914. Londrews, McMillan, 1972,
64 pages.
3.Gertrude,
Himmelfarb, Gertrude. The idea of poverty : England in the early Industrial
Age . New York, Knopf, 1984, 596 pages.
4 AskOxford. (Site consulté
le 22 avril 2005) Definition: workhouse(en ligne), Adresse URL: .http://www.askoxford.com/
5.John Galbraith.
L'ère de l'opulence trad. de The affluent Society. Paris,
Calmann-Lévy, 1970 (1958), p.304
6. Peter A. Jones, Introduction,
de Robert Hunter. Poverty, social conscience in the progressive
era, New York, Harper Torchbooks, 1965 (1904), p.xvii
7. Idem.
8. Ibid., p.xix.
9. Ibid., p.xvi.
10. Ibid.,,
Op.cit., p.xxii.
11. John Galbraith.
L'ère de l'opulence trad. de The affluent Society. Paris,
Calmann-Lévy, 1970 (1958), p.304
12. Ibid.,.
p.304.
13. Ibid.,,
p305.
14. Ibid.,,
p.310.
15. Ibid.,,
p.310.
16. Jean-Claude Passeron,
Présentation de Richard Hoggart. La culture du pauvre. Paris,
Éditions de Minuit, 1970 (1957), p.15.
17. Idem.
18. Ibid.,
p.18
19. Kellow Chesney.
The anti-society, An account of the victorian underworld. Boston,
Gambit, 1970, 398 pages
20. Roland Marx. Jack
l'Éventreur et les fantasmes victoriens. Paris, Éditions
complexe, 1987, 186 pages
François Barret-Ducroq. Pauvreté, charité et morale
à Londres au XIXe siècle : une sainte violence. Paris,
PUF, 199, 245 pages.
Anthony Wohl. The eternal slum. Housing and social policy in Victorian
London. Montréal, McGill-Queen's University Press, 1977, 386 pages.
Frances Fox Piven et Richard A. Cloward. Regulating the poor, the functions
of public welfare. New York, Pantheon books, 1971, p.vii.
Joseph Entin. «Unhuman humanity: bodies of the urban poor and the collapse
of realist ligibility». Novel, vol.34, no3, Été
2001, p.313 -336.
Susan Moeller. « The hegemonic influence of the bourgeois opinion of
poverty in New York city». Journal of American culture. vol18.
no.4 Hiver 1995, p.1-17.
21 Walter Trattner. From poor law to welfare state, a history of Social Welfare
in America. New York, The free press, 1979, 290 pages.
22. Brian Harrison.
«Philanthropy and the Victorians». Victorian
studies, vol.X, No1, juin 1996, p.353-374.
23. Raymond A. Mohl.
Poverty in New York, 1783-1830. New York, Oxford University Press,
1971, p.Xi.